Enquêter sur les dérives du 371-4 C. civ.

Que dit la loi?

 

Code Civil

Livre Ier : Des personnes (Articles 7 à 515-13)

Titre IX : De l'autorité parentale (Articles 371 à 387-6)

 

Chapitre Ier : De l'autorité parentale relativement à la personne de l'enfant (Articles 371 à 381-2)

 

Article 371-4 modifié par LOI n°2013-404 du 17 mai 2013 - art. 9 (Version en vigueur depuis le 19 mai 2013) :

 

 « L'enfant a le droit d'entretenir des relations personnelles avec ses ascendants. Seul l'intérêt de l'enfant peut faire obstacle à l'exercice de ce droit.

 

Si tel est l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables.  » (source légifrance)

Un article plein de bonnes intentions et d'idéaux...

L'article 371-4 C. civ. s'appuie sur l'image d'Epinal de la « grand-parentalité »: présentés comme stables, plus expérimentés en matière familiale voire transcendants l'autorité parentale, garants des valeurs de la Famille, dépositaires de son histoire et, en cas de retraite, plus disponibles pour l'enfant, la fréquentation des grands-parents serait donc par défaut dans l'intérêt de l'enfant.

 

D'après l'association EGPE, spécialiste de la question des grands-parents en société: « Les grands-parents en France, ce sont près de 16 millions de grands-parents au cœur des solidarités familiales (source INSEE), 23 millions d’heures de garde hebdomadaires de leurs petits-enfants, soit plus de 650 000 emplois à temps plein (source d’Analyse Stratégique) sans oublier les 106 milliards en aides et donations annuelles à leurs enfants et 1.4 milliard d’aide financière directe à leurs petits-enfants (sondage Odoxa « Le Parisien-Aujourd’hui en France – 2015) » (source EGPE)

 

Dans l'imaginaire collectif, l'application de cet article serait particulièrement pertinente lors :

  • d'un divorce parental, où l'enfant serait rassuré par la stabilité de la figure grand-parentale,
  • d'un décès parental (veuvage du conjoint), où l'enfant serait rattaché à la généalogie du parent défunt grâce au grand-parent correspondant,
  • de parents défaillants, où le grand-parent serait un substitut au parent.

Au tribunal, la charge de la preuve - à savoir prouver que la fréquentation des grands-parents contrevient à l'intérêt de l'enfant - revient aux parents.

Conflit conjoncturel ou structurel?

Globalement, selon nous, il existe deux catégories de conflits possibles entre les grands-parents et les parents.

 

Le conflit conjoncturel survient lorsque des conditions d'environnement des parents et/ou grands-parents changent et induisent un stress inhabituel: perte d'emploi, deuil d'un tiers, problèmes de santé, naissance... Les charges émotionnelles peuvent induire une incompréhension réciproque qui peut amener à une rupture de contacts. Dans ce cas, une médiation familiale - ou tout simplement laisser passer du temps - peut suffire à prendre du recul, apaiser les parties et renouer le lien intergénérationnel.

 

Le conflit structurel survient lorsque les interactions entre les parents et les grands-parents ont toujours été de mauvaise qualité sur le plan humain, qu'il y ait eu un passé de maltraitance infantile (violences psychologiques, physique ou sexuelle) dans l'enfance des parents, et/ou un rejet du gendre ou de la bru par les beaux-parents lors du mariage, et/ou des troubles d'ordre psychiatriques non traités. Ce type de conflit, ancré dans le temps bien avant l'apparition des petits-enfants, s'accompagne toujours de violences intrafamiliales : sans un travail psychologique préalable d'ampleur, la médiation n'apportera pas de réponses efficientes sur la qualité des relations intergénérationnelles. Dans tous les cas, la Justice non plus.

 

Les deux catégories ne s'excluent pas mutuellement: par exemple, un parent peut rompre avec ses propres parents lorsque, après la naissance de son enfant, il voit se reproduire dans l'interaction grand-parent / enfant, des schémas de maltraitance qu'il a lui-même subis enfant et prend brutalement conscience des risques pour son enfant.

Quid de l'intérêt de l'enfant alors?

Quelle que soit la catégorie du conflit, l'association La Dérive 371-4 ne pense pas que sa judiciarisation puisse préserver l'intérêt de l'enfant. Vivre ou avoir vécu un procès est destructeur pour la famille nucléaire :

  • sur le plan psychologique : les parents sont moins disponibles pour l'enfant, le stress contamine toute la cellule familiale, les droits de visite et d'hébergement perturbent les enfants dans leur organisation et leur appréhension de la famille ;
  • sur le plan financier : la représentation par voie d'avocat étant obligatoire, les parents doivent souvent réorganiser le budget familial, au détriment des vacances ou loisirs pourtant profitables à l'enfant.

Par ailleurs, notre retour d'expérience fait apparaître une écrasante majorité de conflits structurels, liés à des passifs de maltraitance infantile, non signalés ou corrigés à l'époque. 

 

 Remarques par rapport à l'imaginaire collectif

 

En cohérence avec le positionnement de l'association, le veuvage ou le divorce n'implique pas en soi une nécessaire hausse de la fréquentation des grands-parents. Ce qui doit primer est l'intérêt de l'enfant. Si les grands-parents profitent du veuvage ou du divorce pour faire obstacle à l'autorité parentale (dénigrement de l'autre parent, substitution au parent manquant…) ou nuire au bien-être de l'enfant (conflit de loyauté, enfant pansement…), alors ils n'agissent pas dans l'intérêt de l'enfant.

 

Enfin, il est parfois demandé si certaines configurations familiales peuvent faire apparaître des parents défaillants et des grands-parents bientraitants dans des conflits structurels, en réponse à l'imaginaire collectif sur le 371-4 C. civ. Sans exclure cette possibilité, l'association indique simplement ne pas avoir de retour d'expérience dessus et rappelle qu'un parent défaillant vis-à-vis de son enfant doit être signalé aux services sociaux : l'article 371-4 C. civ. n'est pas un substitut à l'appel au 119. Toute fausse dénonciation des grands-parents aura évidemment des conséquences en cas de saisie ultérieure du 371-4 C. civ.

Les droits de Visite et d'Hébergement

 Les statistiques du Ministère de la Justice font apparaître en moyenne sur la période 2014 - 2021:

  • une acceptation à 55 % de la demande de droits de visite d'hébergement (DVH) des grands-parents ou des tiers ;
  • un rejet à 22.9 % de la demande de droits de visite d'hébergement des grands-parents ou des tiers ;
  • le reste correspond à d'autres situations (accord entre les parties, désistement, autre fin...).

Lorsqu'un DVH est accordé aux grands-parents, il s'agit le plus souvent de 2 heures par mois, voire de plusieurs jours aux vacances scolaires en plus.

 

Or, une enquête IFOP - Notre Temps montre que :

  • 45% des grands-parents de la population générale ne gardent jamais leurs petits-enfants en semaine ou week-end (hors temps vacances scolaires);
  • 23% ne gardent jamais leurs petits-enfants pendant les vacances scolaires,
  • 13% gardent leurs petits-enfants moins de 1 semaine à l’année : au total, près de 40% des grands-parents français n'hébergent pas leurs petits-enfants dans les modalités des DVH souvent accordés (hébergement à toutes ou partie des vacances scolaires).

En d'autres termes, presque  la moitié des grands-parents français ne visitent pas leurs petits-enfants dans les modalités du DVH généralement accordé. Un modèle familial unique, qui n’est pas uniformément partagé au sein des familles françaises, est donc imposé par voie judiciaire.

Notre enquête en quelques chiffres

A l'international

D'autres pays se sont également dotés d'une législation sur les relations intergénérationnelles, enfants et grands-parents, avec un esprit propre à chacun.

 

Belgique

L'article 375bis du Code Civil octroie directement un droit aux grands-parents: 

« Les grands-parents ont le droit d'entretenir des relations personnelles avec l'enfant. Ce même droit peut être octroyé à toute autre personne, si celle-ci justifie d'un lien d'affection particulier avec lui. A défaut d'accord entre les parties, l'exercice de ce droit est réglé dans l'intérêt de l'enfant par le Tribunal de la  famille à la demande des parties ou du procureur du Roi. » (actualités du droit belge)

 

Canada

Il est absolument remarquable de constater que le Ministère de la Justice du Canada met en garde les grands-parents à propos de la saisie de la Justice pour obtenir des relations avec leurs petits-enfants : « Si vous êtes un grand-parent et que vous avez des conflits avec l'un ou l'autre parent, vous devriez toujours essayer de régler le problème. Essayez d'aller à la source du problème en parlant au parent. Il peut y avoir eu un malentendu. Ou encore, le parent peut avoir de véritables préoccupations que vous pouvez régler ensemble. Souvenez-vous de ne pas avoir ces discussions devant l'enfant. Il est important que l'enfant ne soit pas exposé au conflit ou se sente pris au milieu. Évitez également de critiquer l'un ou l'autre parent devant les enfants et n'utilisez pas l'enfant comme un messager entre les parents.» Une analyse juridique publiée sur le site du Ministère de la Justice rapporte des dérives exactement similaires au retour d'expérience que notre association cumule en France.

En conséquence, l'article 611 du Code Civil québécois apporte beaucoup de nuances au droit de relation entre grands-parents et petits-enfants: 

« Des relations personnelles entre l’enfant et ses grands-parents peuvent être maintenues ou développées dans la mesure où cela est dans l’intérêt de l’enfant et, s’il est âgé de 10 ans et plus, qu’il y consent, à moins qu’il ne soit dans l’impossibilité de manifester sa volonté. De telles relations peuvent, aux mêmes conditions, être maintenues avec l’ex-conjoint de son père ou de sa mère ou de son parent, pourvu que cette personne lui soit significative. Ces relations peuvent être maintenues ou développées par tout moyen approprié à la situation et il n’est pas requis que les personnes soient en présence physique l’une de l’autre. Leurs modalités peuvent être convenues par écrit entre le père ou la mère ou le parent de l’enfant, à titre de tuteur, son tuteur, le cas échéant, ou l’enfant de 14 ans et plus et ses grands-parents ou l’ex-conjoint de son père ou de sa mère ou de son parent, selon le cas.

Si l’enfant de 10 ans et plus mais de moins de 14 ans n’y consent pas ou en cas de désaccord entre les parties, le maintien ou le développement des relations est déterminé par le tribunal.

Dans tous les cas, le consentement de l’enfant de 14 ans et plus au maintien ou au développement des relations est requis et ce dernier peut, dès cet âge, y mettre fin, sans autre formalité, qu’une ordonnance ait été rendue par un tribunal ou non. » (source LégisQuébec)

 

Suisse

La saisie de la Justice pour l'obtention de relations personnelles avec les petits-enfants est fortement restreinte en Suisse, par l'article 274a du Code Civil : « Dans des circonstances exceptionnelles, le droit d’entretenir des relations personnelles peut aussi être accordé à d’autres personnes, en particulier à des membres de la parenté, à condition que ce soit dans l’intérêt de l’enfant. » (source Fedlex). Bien qu'il y ait eu tentative d'y faire amendement, la Suisse a préféré rester prudente sur un sujet très dangereux vis-à-vis de l'intérêt de l'enfant.